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Entretien avec Marcus Lindeen et Marianne Ségol
10 octobre 2025
Marcus Lindeen et Marianne Ségol, les artistes à l’origine de L’aventure invisible, ont pris un moment entre deux répétitions pour nous parler du spectacle et de leur démarche. Voici la retranscription de l’entretien. Bonne lecture!
La Trilogie des identités : Orlando et Mikael, Wild Minds, L’aventure invisible
Marianne : Chaque projet de La Trilogie des identités part d’histoires ancrées dans la réalité. Puis notre rapport au réel évolue vers la fiction : des histoires vraies, souvent spectaculaires, sont d’abord collectées par Marcus à travers son travail journalistique d’interviews, puis elles sont fictionnalisées pour devenir un objet théâtral.
Marcus : Les trois pièces de la trilogie interrogent le concept d’identité et remettent en question sa stabilité. Elles proposent de voir l’identité comme quelque chose de fluide et multiple plutôt que fixe.
Marianne : Ce qui est intéressant dans ces trois œuvres, c’est justement cette exploration des différents points de vue sur ce qui constitue nos identités.
La démarche de Wild Minds et la technique du verbatim
Marcus : Je mène des interviews avec des personnes, je trouve des histoires, je fais beaucoup de recherches. Ces interviews sont enregistrées et traitées comme un type de scénario. Ensuite, nous faisons une traduction et une réécriture dans un logiciel de son, puis un réenregistrement avec des acteur·trices. Sur le plateau, devant le public, le·la performeur·euse écoute le texte dans une oreillette en même temps qu’iel le répète. C’est un travail en simultané.
Marianne : Les performeur·euses sont des passeur·euses d’une parole qui leur est transmise par l’oreillette. Iels n’ont pas à apprendre le texte. Cette méthode verbatim vient d’une metteuse en scène londonienne…
Marcus : … Alecky Blythe.
Marianne : Exactement. Elle travaille à partir de témoignages authentiques, dans une démarche très documentaire. Pour nous, il y a toute une réflexion autour de la traduction et de la réécriture. Les personnages de L’aventure invisible ne se sont en réalité jamais rencontrés. Les trois histoires s’entremêlent, mais c’est artificiel. Dans la réalité, cet échange n’a jamais eu lieu. La grande question était : comment garder l’idée du théâtre documentaire tout en fictionnalisant la rencontre?
Nous avons aussi beaucoup discuté de la façon de rendre l’oralité, de préserver les hésitations naturelles du discours. Comment retranscrire ces moments où on cherche ses mots, mais sans tomber dans le naturalisme? En somme, l’idée était de créer une discussion artificielle, comme une réalité grossie, qui devient œuvre d’art, ou du moins c’est notre volonté. C’est un questionnement constant sur ce passage entre documentaire et fiction.
C’est aussi pour cela que nous choisissons des performeur·euses qui ne sont pas nécessairement acteur·trices – pour retrouver ce rapport à la parole authentique du témoignage.
Marcus : Cette technique [verbatim récité à partir d’une oreillette] force les interprètes à ne pas utiliser leur propre rythme. Iels doivent adopter le rythme des personnes interviewées, pas juste leurs paroles. Concrètement, cela donne vraiment l’impression d’être quelqu’un d’autre.
Marianne : L’oreillette crée aussi un rapport particulier au présent. Les performeur·euses, qui n’apprennent pas le texte par cœur, ne peuvent pas anticiper leur parole. Cela génère quelque chose de l’ordre de la présence-absence : iels sont à la fois présent·es dans le texte qu’iels entendent et répètent au même moment, tout en étant dans leur tête. Cette technique empêche l’interprétation classique, car iels n’ont pas le temps pour ça.
La curiosité comme moteur du spectacle
Marcus : Pour L’aventure invisible, le public et les interprètes sont assis très proches les un·es des autres. Nous avons créé un dispositif sans plateau traditionnel. C’est un théâtre où on est dans l’écoute d’une conversation, pas dans un jeu théâtral au sens classique.
Marianne : Le quatrième mur est très trouble, ce qui reflète aussi le sujet de la pièce et sa fluidité. Nous tentons de faire un théâtre sans plateau, mais aussi sans conflit au centre. Les performeur·euses sont immobiles, c’est le texte qui est vraiment le personnage central du spectacle.
Contrairement au théâtre classique où il y a toujours un conflit à résoudre, ici nous créons un rapport empathique aux histoires. Chacun·e a son point de vue, chacun·e a été traversé·e par le sujet. C’est important : les personnes que Marcus interviewe ont toujours vécu elles-mêmes une expérience identitaire forte. Nous ne sommes jamais dans un rapport voyeur, mais dans l’acceptation de la parole de l’autre.
Marcus : Le conflit n’est pas le moteur du spectacle. C’est plutôt la curiosité pour la vie des autres.
La genèse de L’aventure invisible
Marcus : Le point de départ du projet, c’est mon intérêt pour une artiste un peu oubliée : Claude Cahun, artiste surréaliste des années 1920-1930. Elle a créé une œuvre photographique très queer, très androgyne. Elle a écrit un poème dont j’adorais le titre : L’aventure invisible. Je me suis dit que je voulais faire une œuvre avec ce titre.
Nous avons commencé par des recherches sur elle, nous sommes allés sur l’île où elle a vécu. Ensuite, d’autres histoires sont venues : la greffe de visage, une neuroanatomiste qui a eu un AVC et a pu observer son propre cerveau… Après, c’est devenu un jeu : comment combiner ces trois histoires complètement différentes, mais qui parlent toutes d’identité?
La recréation à Montréal
Marianne : Nous sommes actuellement à Montréal pour recréer L’aventure invisible. La scénographie a été reconstruite et nous avons refait le casting. Le système d’oreillettes, la partition, la mise en scène et le texte étaient déjà établis; le spectacle existait déjà.
Ce qui était intéressant dans la proposition du Prospero, de Philippe et Vincent, c’était de revivre cette aventure et de voir si le texte fonctionnait aussi bien avec d’autres personnes. Le casting est un processus très long : l’idée est de trouver un rapport très proche entre le témoignage et la personne sur le plateau. Il y a toujours quelque chose d’assez trouble dans cette relation.
Nous sommes venus en juin pour les auditions et avons trouvé trois personnes formidables. C’est vraiment intéressant de retraverser une œuvre par un autre biais : c’est quelque chose qui est à la fois inscrit, mais pas figé.

Marianne Ségol et Marcus Lindeen © Benni Valsson
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